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* La Route de nuit avec Bilou * - 10 épisodes - L'intégrale

Dernière mise à jour : 14 janv. 2023

Conversations dans le bocal avec Roland Jourdain sur WE EXPLORE - Route du Rhum - Destination Guadeloupe 2022


ÉPISODE 1 : "C'est parti mon kiki !"

> CÉCILE

Quimperlé - Finistère - 10 novembre 2022 - 17h30 intra buros. Derrière ma fenêtre le soleil descend déjà. C’est l’heure dorée.


Salut Bilou !

« C’est parti mon Kiki ! » C’est avec ce cri de guerre de cour de récré que tu as accompagné ton départ de course mercredi en direct sur France 3. Une première pour eux et pour toi avec cette conversation embarquée au moment du départ de la 12e édition de la mythique Route du Rhum.


Côté spectateur, la scène était limite surréaliste ! Toi à la barre, disponible, au milieu de 137 bateaux déjà en train de se titrer la bourre, tu écoutais les échanges en plateau et tu papotais tout en manœuvrant à 20 nœuds ton bon gros pépère, comme tu appelles affectueusement ton champ de lin WE EXPLORE. Le mec, trop content d’être là, de prendre le départ.

Autour le vent souffle fort. Ça se bouscule au portillon pour passer les bouées au large de Fréhel. Il va falloir virer de bord et toi tu passes ton message : « Le monde qui nous attend n’est pas celui d’hier ».


Les premières heures s'écoulent et la direction de course fait un point de situation. Premières casses, premiers abandons et premières pénalités.


Après tes 4 heures de colle effectuées pour cause de passage trop hâtif de la ligne de départ, comme 16 autres de tes petits camarades, je t'écris alors que tu es en pleine remontada !


On peut dire que mon premier message hier à 17h30 est arrivé avec un certain décalage de temps, de ton et d’actualité. Mais, je n’avais pas les bases !


Alors je me permets de te resservir le plat et la garniture de mes précédentes questions sous un angle un peu différent car j’ai bien l’impression que le compétiteur a pris toute la place ces dernières heures et qu’il a décidé de leur montrer qui c'est Raoul... enfin Bilou. « Tu gères » comme dirait mon ado.


Maintenant va falloir me dire ce qu’il y avait sur l’ordonnance ou dans la cambuse la veille ? 12 ans après ton dernier départ en solitaire pour une course au large, on dirait bien que le bonhomme a su mobiliser toutes ses ressources !


Alors quelles sensations as-tu retrouvées des départs de courses passées et au contraire quels sentiments nouveaux sont venus t'animer pour ce début de course inédit à bien des titres ?

Est-ce que ce départ trop rapide est de la précipitation, de l’excitation ou simplement le début incontournable de la compétition ?


Et ta monture ? Elle te plaît ta monture ? Bref, dis-moi ce que ce premier jour en mer te raconte sur toi et sur ton rapport à la ligne de départ, au fil des ans ici et maintenant ?

Impatiente de te lire !


Bonne mer, bon vent, bisous


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> BILOU

WE EXPLORE - 10 novembre 2022 - 23h20 - 2e au classement virtuel - Rhum-multi


Coucou Cécile !

Alors oui effectivement je savais que tu serais rapide mais de là à avoir la première copie le soir du départ... ! Heureusement, je n’ai découvert ce mail que 24h après !


Bref, oui c’est donc aussi parti mon kiki pour une aventure épistolaire pleine de rebondissements. Et je reste au sens propre, car si tu me voyais au bureau à l’instant... ! C’est saute-mouton à l’appartement ! La soirée est agitée et je me tiens mal sur ma chaise.

Heureusement la prof n’est pas là pour râler. Le voyage en mer, course ou pas course, a ce petit côté "décalé" très plaisant. On ne s'ennuie jamais !

Résumé des dernières heures : deux virements de bord et - très important - la séance de rangement qui va avec, une réparation de porte-fenêtre avant le gros temps (eh oui j'ai ça dans mon appartement flottant !), une réception de fichiers météo et la petite séance de stratégie qui va bien (par quelle route vais-je donc passer pour ne pas casser ma belle machine ???), une prise de tête avec les moyens de communication du bord qui s'étaient ligués contre moi… Et en continu les allers-retours en terrasse pour régler les voiles et le vent qui est particulièrement variable. Je précise que mon appartement flottant est un peu instable et qu'il peut pencher au point de faire comme la tortue. Et le lin à l'envers c'est moins bien !

Bon, c’est vrai qu'en croisière en famille, on s'organise généralement différemment.

Mais je m’égare. Revenons à nos moutons, sauteurs ou pas.

J'ai donc écopé de 4 heures de pénoche (dura lex sed lex) pour avoir "volé" le départ. Quelle ironie ! Quel arroseur arrosé ! Belle démonstration de dissonance cognitive comme on dit.

Le gars était trop pressé de mettre en avant toutes les valeurs de We Explore et paf ! Départ grillé, quatre heures à griller sous la lune à Fréhel !

Mais comme d'une contrainte naît toujours une opportunité, que les dieux de la marée et du vent s'étaient sympathiquement mis un peu de mon côté, je suis revenu dans le paysage parmi mes copains.

C'est vrai que je prends encore du plaisir à jouer à ce jeu. Je ne me l’explique pas vraiment. Il représente une grande partie de ma vie, je crois que c'est tout. Mais c’est un jeu qui se joue sur le terrain de mes passions, celui de la Nature.

Sur ce, je suis obligé de te laisser. Les conditions ne sont vraiment pas terribles et il faut que je réfléchisse à tout ça.

Bonne nuit jeune terrienne !

 

ÉPISODE 2 : Quand Bilou hallucine... !


> BILOU

WE EXPLORE - 11 novembre - 19h38 - 3e au classement virtuel - Rhum-multi - Quelque part au Nord-ouest du Cap Finisterre.


Coucou Cécile,

Je me rends compte qu'hier soir j'étais vraiment fatigué et écrire m'a achevé, petite chose fragile que je suis !

Je me suis écroulé pour des sessions de 30 minutes de sieste, avec ma copine l'alarme de pompier pour donner le tempo. Un plaisir qui n'a pas les mêmes saveurs à terre… Je ne sais pas pourquoi !


J'ai vu que j'étais "dans le rouge » quand pendant plusieurs siestes j'avais la sensation de ne plus être seul à bord… Mais agréablement accompagné par l'équipe...


Un petit brouhaha sympa avec des bribes de conversation dans ma tête. Bref le petit symptôme des hallucinations provoqué par le manque de sommeil.


C'est dur, mais ça a du bon de manquer de sommeil! Je crois que c'est prouvé scientifiquement, que privé de sommeil, le corps sécrète des hormones (ou autres !) proches chimiquement des composants de la coke (ou autres !).

Ce n'est pas uniquement un délire sado-masochiste à la sauce judéo-chrétienne. Mais c’est comme ça, on sécrète des trucs rigolos et gratos, enfin faut quand même compter le prix du bateau pour faire le voyage…

C'est une sensation vraiment particulière. Tous les coureurs ont des souvenirs de ce genre : une vache sur la plage avant, belle-maman dans les filières… Une fois, j'ai même refusé que l'avion des journalistes se pose sur mon Figaro, parce qu'ils allaient tout salir !

À apprécier à dose homéopathique bien sûr, sinon danger.

Et la nuit dernière c'était un petit rappel à l’ordre parfait ! Je suis parti avec des brouettées d’émotions : positives, de celles qui vous boostent ( pour vouloir faire le malin sur une ligne de départ par exemple ) et stressantes parce que c’est une première avec mon champ de lin.

Puis il y a eu les conséquences du départ, de la pénalité, la sortie de Manche dans la flottille retrouvée en partie, la nuit fraîche mais sous une lune magnifique, puis les virements de bord près des cailloux de notre belle Bretagne...

Et ben tout ça vous cuit votre marin madame !

C'est ce que j'étais sans doute venu rechercher. Pas vraiment par manque, mais juste pour goûter à nouveau, par gourmandise.

Et je suis gâté. Aucune indigestion grâce à une chose : We Explore. Pas une chose d'ailleurs, bien-sûr, mais notre gros bébé en lin que j'ai le plaisir d'accompagner dans ce Rhum.


Mais je t'en parlerai plus au fil de nos prochains milles communs

Des bises.


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> CÉCILE

Quimperlé - 11 novembre 2022 - 20h44

Salut Bilou !

Tu es vraiment trop fort. Je n’avais pas osé te renvoyer trop vite un nouveau message pour te lancer sur un autre sujet.


Mais le mail que tu viens d'envoyer est un témoignage assez incroyable et inédit sur cette expérience de l’hallucination par manque de sommeil ! Et ça intéresse beaucoup l’insomniaque que je suis, qui souffre du syndrome de la jambe sans repos, un drôle de nom pour un déficit de mélatonine, cette substance que le cerveau sécrète pour provoquer l’endormissement. Chez moi, le cerveau fait grève sur la fabrication de cette hormone et s’amuse à m’envoyer des signaux nerveux pour que je m’agite des guiboles toute la nuit. Genre moi, mon injonction judeo- chrétienne est plutôt « lève toi et marche » en permanence, quand toi tes manifestations neurologiques t’entrainent vers des aventures bien plus rocambolesques je dois dire ! Heureusement que tu roules au lin et pas au chanvre sinon je me serai demandée si tu n’avais pas commencé à allumer le calumet !


Pour ma part, aujourd’hui en suivant l’audio et la vidéo que tu as envoyés à la team, j’ai beaucoup apprécié ton chant de bonze zen face au spectacle d’un lever de soleil particulièrement inspirant et prompt à se laisser aller à la contemplation et à la méditation. Alors même si je pense que ta nuit sera agitée et bien occupée au regard des options que tu as prises, je te lance sur le sujet de la LIGNE D’HORIZON !


André Gide écrivait : On ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue d’abord et sur un long temps tout rivage. Est-ce que cette phrase te parle ? Est-ce que tu as dû passer par cette phase pour comprendre justement que ta façon de naviguer et de pratiquer ton terrain de jeu pouvait prendre une autre forme que la compétition ?


Faut-il s’éloigner de tout, prendre le large, oublier tout ce que l’on sait, quitter ses repères, regarder la terre depuis la mer pour enfin pouvoir réinventer son regard ou au contraire retrouver le regard originel pour trouver comment vivre davantage en harmonie et dans le respect de ce que la Nature nous offre… Est-ce de ce côté-là qu’est la véritable terra incognita désormais pour l’espèce humaine ?


Ok, c’est un peu philo mais je sais que ces questions la turbinent dans ta tête depuis longtemps déjà.


Prends soin de toi !

Bonne nuit, bonne mer, bisous


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> BILOU

WE EXPLORE - 13 novembre - 11h09

Coucou Cécile

Ce n’est pas de la mauvaise volonté mais la philo dans mon état c'est un peu chaud dans le moment ! Je pensais le plus dur fait après le passage du front (on en reparlera) mais la nuit est hyper galère

Je garde ça bien au chaud pour après dodo !

Bizz


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INFO : 14 novembre 2022

Bilou va bien et poursuit sa Route en dépit d'une météo peu clémente pour tous les Rhum Multi. Il a quelques problèmes de connexion pour communiquer et notamment répondre à mes derniers messages. Mais cela devrait se régler rapidement. En attendant que la Route soit avec lui !


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CARTE POSTALE : 18h28

Yepiiii ! Roland a pu envoyer une photo légende pour donner de ses nouvelles mais en mode furtif ! Il a quand même bonne mine le marin !

"J'ai viré ce matin pour redescendre au Sud . Je ne sentais pas le truc. Perdu du terrain... mais c'est pour le bien de bébé. Zénitude et bienveillure sont les mamelles de la performance New (grosse) Wave. Bonne soirée à tous".

 

Épisode 3 : Allô Bilou, tu me reçois ?


> CÉCILE

Quimperlé - 15 novembre 2022 – Finistère - 21h00


Salut Bilou,

Nouveau message de la Terrienne au Merrien ! Il paraît que tu as réussi à réparer l'antenne et que tu captes à nouveau ? Ouf j'étais à deux doigts de t'envoyer un pigeon de mon jardin pour te porter mes petites bafouilles. Mais je les soupçonne d'être plus rapides à pieds qu'à tire-d’aile, vu la silhouette que leur dessine leur vie sédentaire. Trop de confort tue l'envol !


Mais alors que les mâts tombent , que les coques chavirent et même qu'un bateau prend feu ... Nous, pauvres Terriens, on balisait sévère pour le bonhomme et son champ de lin… Car cette course prend des allures dantesques pour certains. Les rangs se sont quelque peu décimés, ramenant une nouvelle fois le marin "augmenté" grâce à sa monture high-tech, à une forme d’humilité face aux tables de la loi de la Nature et... son jeu de cartes météo qu'elle abat selon ses humeurs.

Et toi tu réapparais tout content le temps d'un selfie furtif à la sortie d'une sieste et tu nous dis que ton horizon ressemble bien à celui du paradis.


OK alors où en es-tu côté chakra ? Tu cherches et trouves le bonze qui est en toi ? Est-ce que cette édition d'une Route du Rhum que tu as déjà tracée 3 fois est un bonus ou finalement as-tu remis les compteurs à zéro ?

Bref, faut que tu partages un peu ce qui s'agite dans ton bocal avant que ça déborde !


Hâte de te lire !

Bonne mer, bon vent, bisous

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CARTE POSTALE DE BILOU : 16 novembre - 19h50

(Roland n'avait pas encore l'info de drame survenu en Guadeloupe provoquant le décès de 2 personnes).


Bonsoir tout le monde depuis WE EXPLORE au milieu de l'Atlantique. Le bonheur est dans le pré où le champ de lin se comporte encore bien.

On n’a pas fini de remonter la piste de ski. L'anticyclone des Açores se gagne. D'ici 24 heures, on devrait normalement avoir les prémices d'un vent qui va nous emmener vers la Guadeloupe. Pour l'instant on tire encore des bords. Mais c'est quand même fatiguant de faire plusieurs sports en même temps : tenir debout, manœuvrer des voiles et puis travailler au bureau pour voir dans quelle direction aller aussi.


Le spectacle est magnifique. J'ai une vue panoramique sur un soleil qui descend. Les coques de WE EXPLORE qui pénètrent la houle avec délicatesse et puis un gros barbu qui regarde tout ça !


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> BILOU

WE EXPLORE - 17 novembre 2022 - 01h47 - 2e au classement virtuel Rhum Multi


Coucou Céciiiiile !

Je suis vraiment qu'un mec, mono-tâche, comme les autres et je n’arrive pas à faire du bateau et écrire à la fois. Quand j’serai grand, j’serai une femme ! Ça c'est sûr. Promis, ça va venir…

Plus qu'un petit front à passer cette nuit et la dorsale vient nous caresser l'échine pour délivrer le visa du vent portant, qui nous permettra au plus vite de proser bien peinard…

Mais cette nuit que j’espérais plus cool, me trouve, non pas dans mon pyjama à rayures… mais dans mon fameux Cotten haut et bas, un petit ensemble noir - ceci dit très seyant - mais un peu puant quand même ! Faut dire qu’il a pas mal servi ces temps-ci.

Ça brasse, ça tape et ça change de voiles. Bref, c'est ma vie d'avant quoi ! Que je l’aimeuhhh... !


Bien-sûr, loin de moi le besoin de prouver que le bébé en lin va bien, pour imaginer un podium. Mais j’ai surtout un horaire à respecter. Mon fils et ma femme qui m'attendent là-bas et Nico qui va débarquer pour faire le retour avec moi. Alors pas de temps à perdre !Vivement après !


Et surtout continue de me régaler par tes mails que j'ai lu en mode groupé, car bonne nouvelle, garde tes pigeons obèses, ça salit tout sur le bateau (et c'est du vécu !). Les satellites sont a priori revenus ! C'est comme les hirondelles, mais pas aux mêmes dates.


Mille bisous

 

Épisode 4 : Ahhh la prose de Monsieur Jourdain !


> CÉCILE

17 novembre 2022 - Quimperlé - Finistère - 21h48 - Sur mon canapé à la lueur chaleureuse d'un feu de cheminée.


Saluuuut Bilou !

Trop contente de découvrir ton message ce matin dès potron-minet ! J’ai commencé ma journée avec le sourire en t’imaginant surfer sur tes alizés, visage au vent, fouetté par les embruns, un sourcil levé au-dessus de l'œil gauche rivé sur son cap et l’autre légèrement replié pour mieux viser.


Ouais ! Parce que c'est comme ça qu'on aime imaginer le skipper aguerri, droit dans ses bottes et raide dans son ciré, qui tient bon la vague et tient bon le vent ... Hissez haut !! Ok je m'emballe.


De toute façon... Cette fois tu n'es pas loin d'enfiler ta tenue de plage…

Alors dis-moi, dans ta course folle, saurais-tu évaluer avec toute ta technologie embarquée et la stabilité de tes données satellite… enfin sinon à vue de nez et au doigt mouillé... le temps qu’il te reste à faire sur la Route ?

Sais-tu d’ailleurs que lorsque tu arriveras à bon port pointois, tu rejoindras les 8 milliards de Terriens que nous sommes désormais officiellement sur cette bonne vieille planète en début d’asphyxie ?

Toi qui a touché encore une fois à la sobriété du huis-clos solitaire, au confinement volontaire, es-tu prêt à porter ton message plus que jamais à tout ce petit monde ?

Car sans vouloir faire ma Fabrice Luchini de service en dégainant une nouvelle citation, sache quand même que Pierre Desproges disait « J’ai l'impression que quand les individus se multiplient, les intelligences se divisent ». Bon ok, son cynisme était légendaire et faisait tout son charme. Mais alors toi ? Tu y crois à cette fameuse intelligence collective capable d’agir et de faire bouger les lignes ?

Là, sur ton champ de lin, ne serais-tu pas en train de tracer un nouveau sillon… Et si ta façon aujourd’hui de faire la Route pouvait devenir l'épure d’un chemin inédit à dessiner ensemble... une fois la terre regagnée…. Ça laisse rêveur et j'espère, porteur autant que le vent que je te souhaite cette nuit.


À très vite. Prenez soin de vous toi et ton beau batôoooo

Bises

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> BILOU

WE EXPLORE - 19 novembre 2022 - 03h29 (heure bretonne) - 2e au classement virtuel Rhum Multi


Goooodddd Moooorning Quimperléééééé !

Alors commençons par la carte postale avec la vraie image du gars sur l'eau. Tout pareil que celui qui est en solo quelques jours à l’appart' puisque sa femme est partie voir sa cousine Hortense à Dijon pour les vacances. Pourquoi donc se changer, se laver et perdre un temps fou à toutes ces futilités, qui en plus consomment les ressources en eau de la planète ? On est donc sur la tenue vestimentaire "durable", c’est-à-dire la même depuis le début : costume / bleu de travail / pyjama - en modèle unique de la maison Cotten depuis 1964 (l'année de ma naissance en plus) sur une fine couche de mérinos haut et bas qui, non seulement te régule à merveille, mais en plus fait par miracle disparaître les odeurs, surtout les tiennes quand tu es tout seul.


Ah ! Merveilleux animal que ce mérinos que, peut-être, j'en adopterai un.


Et pour finir sur le sujet, la tenue de plage devrait arriver demain. Nous ne sommes pas encore sous les chaleurs alizéennes, mais dans cette transition entre notre automne et leur toujours été.


Techniquement, il s'agit de trouver un chemin pour passer sous l'anticyclone des Açores. Et c'est parfois un peu compliqué… comme toutes les théories quand on les pratique.


Vent instable en force et en direction.

Donc changement de voiles et réglages.

Donc transpiration et retour au mérinos.

Mais cela ne m'a pas empêché de trouver des occasions pour dormir comme un bébé, pour ne pas dire comater, ces temps derniers. Un scandale tellement c'était bon.


Les augures ont parlé et semblent nous faire arriver WE EXPLORE et moi, dans la nuit du 23, matinée du 24. Si longtemps après les Ultims et pourtant déjà ! C'est bien court pour amortir tout le temps passé à imaginer, créer et préparer en amont ! Quinze jours pour apprécier l'instant c'est si peu ! Et comme tu le rappelles, j'arrive à Pointe-à-Pitre pour fêter le dépassement des 8 milliards d'êtres humains sur notre vaisseau merrien. Bel équipage. Ou pas terrible suivant comment on se place. J'ai adoré ta "desprogite"que je ne connaissais pas ! Certains nous manquent plus que d’autres...


Des équipiers, on n'en manque donc pas. Ce dont on a besoin, ce sont des capitaines et la fiche de recrutement est mal fichue à Pôle emploi ! : «Bonjour. Je voudrais recruter un cadre spécialisé en intelligence collective avec 10 ans d’expérience. Et donnez-moi les contacts des meilleurs consultants en management à impact positif s’il vous plaît » .


Des powerpoints, des courbes et des stats. On en a plus qu'il n'en faut. Mais, HÉHO ! Y a quelqu'un ? Ce n’est pas ça la vraie vie ! L'excellente et non moins déprimante revue de presse que notre Tiphaine me fait le plaisir de déposer sur ma boîte mail du bord, est jour à jour si éloquente.


Extraits :

"Selon le récent rapport que la Fondation Jean Jaurès vient de publier : Dans la tête des éco-anxieux, 74% des Français de moins de 25 ans jugent l’avenir effrayant en raison des inquiétudes grandissantes face au dérèglement climatique. Les mêmes bien-pensants auront vite fait de dire que les jeunes Africains migrants doivent avoir bien d’autres préoccupations en tête que la sauvegarde du climat. Et bien non, plusieurs études sont unanimes pour attester que les facteurs climatiques combinés à la géopolitique sont prépondérants dans les décisions des malheureux impliqués dans les vagues migratoires qui s’amplifient depuis une dizaine d’années en Méditerranée. Et le pire est à venir, selon le Giec, c’est au minimum 243 millions réfugiés climatiques qui vont déferler d'ici à 2050 sur les côtes de l'hémisphère nord."


Bon, y en a plein d’autres, mais je ne vais pas copier-coller tout ça ! Enfin ça me rappelle un gars célèbre qui avait dit "La maison brûle et on regarde ailleurs ». Ça me rappelle aussi des accords à Paris, ainsi qu'une bande d'hurluberlus du Giec qui caquettent depuis 50 ans...

Alors le collectif c'est pas facile à imaginer au vu de tout ça !

Dans la même revue de presse, on a aussi de nouvelles perspectives. De 8 milliards aujourd'hui on passerait à 4 en fin de siècle pour cause de... spermatozoïdes en grève chez l’homo-sapiens évolué du 3e millénaire à cause de tous ces jolis cocktails chimiques qu'on a inventé ! C'est l’arroseur arrosé...


Alors que faire ? Chacun sa part, comme l'a si bien dit et fait le colibri Rabhi. Ma part solitaire, je l'ai faite parce que j'en ai viscéralement besoin. Et c'est elle qui me démontre l'absolu besoin des autres quoi que l’on entreprend. La mer m'a appris à appréhender l'inconnu avec optimisme. Ça ne se passe jamais comme prévu et finalement on trouve une solution.

Le chemin m’a mené jusqu’à Explore. Parce que l'énergie collective, même si le chemin est pavé d'embûches, est la seule forme d'avenir de l'espèce. Mais l'important là-dedans, c'est justement le chemin.


Sur ce, je dois te laisser car, bonne nouvelle, le vent est deux fois plus fort que prévu. Et là aussi le chemin est plein de nids-de-poule. Il ne faudrait pas que mon spi millésime 2008 me lâche dans une vague… déjà que la cuvée 2006 m’a quitté hier au bout d'une heure de service ! La performance environnementale a ses petites contraintes !


Bizzz


 

Épisode 5 : Bilou, où sont les femmmmeuh ?

> CÉCILE

20 novembre 2022 - Quimperlé - Finistère - 10h33 - Teatime


Hello Monsieur Jourdain !

Un grand merci pour ton dernier message dont la prose a remporté tous les suffrages. Ça y est, on peut le dire, tu es officiellement une femme maintenant, enfin non, enfin pas littéralement bien sûr, mais tu viens de prouver ta faculté multitâche avec brio !


Alors oui, sortons des clichés sexistes qui visent à supprimer l’option Shiva chez la gent masculine, car nous l’avons bien compris tout cela est davantage culturel que naturel.


Vous - hommes sweet hommes - êtes capables de cumuler les tâches et les missions, aussi bien sur un bateau au milieu de l’océan que lorsque Madame est à Dijon ! Et vice-versa bien entendu !

Maintenant que tu as tous ces bras, que tu jouis pleinement de tes capacités convoquées depuis l’hémisphère gauche, le droit, du Nord comme au Sud, que tu ne viens ni de Vénus ni de Mars mais de Saint-Malo, que ta vitesse est entre 10 et 11 nœuds, et que tu dois passer de l’Océan Atlantique à la mer des Caraïbes en n’oubliant pas de saluer la Tête à l’Anglais, peux-tu, non pas me donner l’âge du Capitaine, ni de sa femme, mais me commenter ce rapport : 7 sur 138 ? À ton avis, c’est quoi le problème ? C’est quoi qui bloque ? Pourquoi encore aussi peu de femmes en compétition sur ces grandes courses au large ?

Pourtant la voile, comme l’équitation ( ah si et le "goaltimate", un mélange d’ultimate et de quidditch qui se joue uniquement aux USA depuis l’ère post Harry Potter), est le seul sport où tout le monde joue dans la même catégorie. Un universalisme qui cette année s’est même fait un peu plus remarquer encore, avec la présence de plusieurs skippers en situation de handicap dont Fabrice Payen ou Damien Seguin. Mais il a fallu des pionniers pugnaces pour y arriver !

Bon alors, c’est comme pour tout le reste, nous frères humains (wesh frères, oubliez pas les sœurs aussi !) nous avons encore beaucoup à faire et à apprendre pour montrer que ce sont nos différences qui font toute notre humanité. Peut-être que le monde du sponsoring doit encore évoluer car pour avoir son bateau, il faut convaincre des partenaires et leur démontrer qu’il faut toujours un premier, un pionnier, un aventurier pour ne pas rater le carrefour du changement ;-).

Ça t’inspire ça… Je crois…

Bon dimanche Bilou. Moi je surfe sur mon canapé entre mon clavier et mon roman du jour Le commerce des allongés d’Alain Mabanckou.

Bonne mer, bon vent, Bisous


PS : AHAH tu as cru que cette fois tu échappais à une citation ?! Presque… Je te citerai juste cette jolie variante que pourrait prendre un jour notre devise française : « Liberté, Égalité, Adelphité » … Un seul mot pour désigner la conjugaison des notions de fraternité et de sororité… En un mot la solidarité sans genre appliqué…


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> BILOU

WE EXPLORE - 22 novembre 2022 - 04h33 (heure bretonne) - 3e au classement virtuel Rhum Multi


Coucou Mame Peltier !


Je suis tiraillé. Il y a dix minutes encore, en terrasse à discuter avec les vagues, les voiles et mon pilote, je me disais que non, ça ne va pas encore être possible de répondre à ma correspondante terrestre, vu les conditions.

- Et hop me revoilà 01h00 après ma 1re phrase -

Et puis non ! Je n'arrive pas non plus à abandonner notre partie ! Mais il faut que je t'explique le contexte.

On est donc dans cette zone d'alizés considérée par tout le monde comme l'endroit le plus cool du monde où des marins glissouillent sur une mer turquoise avec le seul risque de prendre un coup de soleil.

Eh ben ce n’est pas toujours le cas !


Et justement, en ce moment, les alizés sont toniques et instables. Nuages, changement de vent constant et une mer que tu ne tiens pas debout dans le navire.

De la glissouille mais aussi de la tapouille et de la gitouille, because les vagues ne sont pas plates.


Alors avec mon beau camion en lin, on est un peu à la peine pour le faire avancouiller sans rien cassouiller.


Ça passe par beaucoup de discussions et réflexions avec toute l'équipe. Albert le pilote automatique, Roger le Gennaker, Fatima ma grand voile, etc…


Bon bref soyons honnêtes, ça me prend un temps complet d'essayer de comprendre We Explore et son environnement. Je pourrais prendre un ris, ralentir et dire : « Cécile me voilà ! ». Ben j'peux pas !!!

Mais quand même, me voilà un peu et j'en suis le premier content.


Alors 7/138 !

On est d'accord, le constat est accablant et troublant !

( J’apprends tous les jours un truc avec toi : le « goaltimate », tiens tiens, j'irai voir ça).

Le fait existe dans la filière professionnelle puisqu’il y a maintenant plusieurs sélections féminines dans la filière du Figaro, et la prochaine transat en double (ex Ag2r) se court en mix, mais j'ai entendu dire que c'était compliqué de trouver les quotas.


Il y a donc des tentatives pour attirer le chaland, ou plutôt la chalande - mais je sais pas si le mot existe - mais on ne remplit pas le Zénith. Et je suis étonné que parmi les nombreux amateurs du Rhum, il n'y ait justement pas davantage de nombreuses. Le milieu n'est pas macho. Donc ça n'explique rien.


- Et hop me revoilà après session en terrasse. Le vent a forci.

Carte postale : nuit noire sans lune avec étoiles. Bateau qui part au surf brillamment contrôlé par le pilote. Quand tu alignes vague après vague le petit "ouf" de soulagement en fin de surf dans l obscurité tes petites réserves d'adrénaline s'épuisent assez vite ! Avant de te revenir, j'ai assuré avec 30 min de sieste ! -


Donc "Où sont les feeeemmeuhhs ? Comme chantait l’autre…

Sans doute que, comme dans bien d'autres secteurs, elles font face à des légères contraintes. "Non c’est pas papa qui peut garder les juniors pendant la croisière de maman", mais comme on dit, quand on veut, on peut.


Alors le truc est là : est-ce qu'elles veulent ?

Si on trouve une proportion moins forte de skippeures ou skippeuses aujourd'hui, c’est peut-être que l'évolution de la course au large leur plaît moins ? Est-ce que le récit du "ça tape, ça fait mal, c’est la guerre ici" couplé à l'image du pilote 2.0 sorti de la Nasa, embarque encore ?


Est-ce le filtre d'Explore qui ne rend pas ma vision objective ? Mais j'ai l'impression de voir plus de femmes aller en mer, mais pas pour la compétition. Pour découvrir, explorer, partager.

Ce 7/138, c'est un signe à méditer tu as raison, peut-être le symptôme d'une fissure dans l'image sociétale dans l'avenir de la course au large.

Cette fois, je dois te laisser on me rappelle en terrasse.

On est en service continu et y a plein de RTT en ce moment je dois tout me coltiner.


Des bises !


PS : J'ai fait connaissance avec Mouchot. Top !

{NDLR} : Avant de partir de Saint-Malo, j’ai offert à Bilou le roman L’inventeur de Miguel Bonnefoy sur Auguste Mouchot, l’homme qui inventa la première machine à énergie solaire.

 

MESSAGES NON REÇUS PAR BILOU


> CÉCILE

23 novembre 2022 - Quimperlé - Finistère - 00h49 - Depuis ma couette


Wahou Bilou

T’es vraiment un chef ! Je me suis régalée en lisant ton dernier message. De l’humour, de l’esprit et une analyse de la situation extrêmement clairvoyante ! Bravissimo !

Finalement avec ce carnet de bord épistolaire, on a un peu tenté un revival de "La Tête et les jambes", cette émission du temps de la TV hertzienne, où tu devais répondre correctement à des questions érudites, sinon tu étais bon pour courir un 400m en moins d’une minute sous les yeux de 4 millions de spectateurs qui n'avaient pas le choix des chaînes.


Mais avec mon jeu à moi, c’est le gros lot direct, le bourre-pif en pleine paix. Non seulement tu as dû répondre à mes amorces de cogitations ou mes questions capillotractées, mais avec les épreuves sportives commises d’offices, en doublon avec une météo en mode aléatoire et des outils de communication aussi rapides qu’une connexion par minitel pour le 3615 code alaingillotpetre.


En vérité, comme je l’ai écrit ce matin en partageant ta brillante copie sur les réseaux, nous avons peut-être posé là les règles d’un nouveau jeu (qui pourrait bien appâter plus de chalandes justement), une sorte de cogito-sailing : une compétition de course au large ponctuée de réflexions philosophiques imposées.


Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Qui suis-je ? Dans quel état j’erre ? Le spi ou la grand-voile ( Renaud ou Fatima ) ? Captes-tu la 5G ? Y a quoi pour dîner ? ATTENTION ! Vous avez une heure !


Ça m’a rappelé le Chessboxing, inventé par Enki BILAL, dans un des ses albums BD. Tu sais ce sport mêlant la boxe et les échecs dans une même partie de onze rounds, qui est finalement devenu une véritable pratique avec même une fédération ! Qui sait si tu ne viens pas de marquer la naissance d’une nouvelle discipline. Socrate va te rhabiller, Platon a traversé la route et vient de trouver un nouveau job durable chez Bilou.


Bon, je ne sais pas si tu liras ce dernier message alors que tu descends tout schuss vers ton destin. En tout cas merci, d’avoir joué le jeu tout en menant ta course au top tout du long ! Avec ou sans podium, pour beaucoup La Route tu l’as gagnée.

Go, go, go Bilou


Je t’embrasse.

À très bientôt à Concarneau



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> CÉCILE

Quimperlé - Aux abords de la nuit - 24 novembre 2022 - 22h19


Salut Bilou,


À ce stade de la nuit, je suis encore au bord du rivage de ce sommeil qui peinera sans doute une fois encore à m’emporter dans ses limbes. Je viens d’apprendre que Gilles Buekenhout en tête depuis des milles et des milles de votre catégorie Rhum multi, a été récupéré par un cargo, peu de temps après son chavirage. Toi et Loïc Escoffier allez pouvoir reprendre la course. Parenthèse refermée. Ouf ! Le drame est évité.

À ce stade de la nuit, je cherche à imaginer ce que tu ressens, lorsque tu reçois de la direction de course, l’information du naufrage et la demande de te dérouter pour porter assistance. Toi, qui comme quelques autres navigateurs, portes haut et fort le message de l’association de sauvetage en mer SOS Méditerranée : l'obligation de prêter assistance à toute personne en détresse quels que soient, sa nationalité, son statut et les circonstances dans lesquelles elle se trouve.

Haro sur la politique, les polémiques, ici ce qui se joue, c’est le principe d’humanité dans toute sa neutralité.

Il s’applique à Fabrice Amedeo, Gilles Buekenhout tout comme aux milliers de femmes, d’hommes et d’enfants qui tentent la traversée de la Méditerranée ou de la Manche, et perdent leur d’identité dès qu’ils embraquent sur leur radeau pour tenter la grande Traversée.

Ils ne sont plus que « Les migrants »…


À ce stade de la nuit, je pense au récit de Maylis de Kerangal qui porte ce nom. C’est l’histoire de cette femme qui écoute la radio au milieu de la nuit. Il y est question d’un navire venu de Lybie débordant de réfugiés qui a sombré au large de Lampedusa. Son esprit s’échappe, se laisse embarquer par ses souvenirs, la littérature et le cinéma autour de Lampedusa, mais aussi ses propres voyages, ses traversées et ses naufrages.


À ce stade de la nuit, reprenant ton cap après l’annonce de l’heureux dénouement et sous l’emprise d’une insomnie que l’adrénaline a peut-être entraînée, je me demande bien où tes pensées t'ont-elles emmené, vers quels souvenirs ou quelles circonvolutions émotionnelles ? Je serai bien curieuse de le savoir… pendant ou après ton voyage.


Bon, il est temps de te payer la tête à l’Anglais.

Reviens-nous vite.


Bises


 

DÉNOUEMENT : Roland Jourdain, 1er et puis... 2e de La Route du Rhum 2022 : Lire l'article


 

Épisode 6 : Le retour du Je(u)di


> CÉCILE

06 décembre 2022 - Quimperlé - 10h58 - Pause courrier


Salut Bilou !

J’ai un peu tardé à reprendre la Route, alors que toi, vogue le cata depuis déjà vendredi. Cette fois fini le temps des grandes solitudes. Te voilà accompagné dans ton heureuse odyssée par un équipage de solides et joyeux gaillards (pour ceux que je connais en tout cas, z’ont pas la traversée triste et le verbe timide). Destination Ithaque… ( enfin Konk Kerne en breton). La Belle sera fière de retrouver son héraut, celui qui porte le message d’une nature à respecter et à préserver. Que Concarneau reste toujours plus bleue que close !


Bon, faut qu’on se la joue à la franche. Tu n’as pas pu répondre à mes deux derniers messages embarqués, parce que toi, tu turbinais sévère du côté de la Tête à l’Anglais pour garder celle de la course. Et justement, ça s’est joué d’une tête sur l’océan qui nous a tous laissés sur le séant. Je ne reviens pas sur l’annonce du podium qui ressemblait à un score météo avec la température réelle et celle ressentie. Le choc fut thermique pour tout le monde : 1-chaud, 2-froid et puis chaud quand même. Mais bon, en vrai, pour nous en tout cas, tes ouailles, on est au diapason, tu es notre champion.

Ta performance sportive, c’est le pompon sur le bonnet, la fourrure sur le ciré, la rosette sur la vareuse, … Bref le truc qui claque pour que s’ouvrent grandes les mirettes et les esgourdes de nos adeptes du «Don’t look up ».


Et puis, surprise, un petit coup de fil de Guadeloupe ! Au téléphone, tu me dis : "Ma Route à moi n’est pas finie. Avec EXPLORE on a encore plein de choses à dire. Alors tu m’écris pendant le convoyage retour ? Cette fois je pourrai déléguer ! ».


Du coup, quand Sophie a envoyé cette courte vidéo après votre départ à la team Explore, moi aussi je suis partie... Quatorze secondes de voile sereine, de volutes nuageux et d’horizon rose.

Je me suis mise à fredonner cette chanson de Julien Clerc...

Depuis l'enfance

Je suis toujours en partance

Je vais, je vis

Contre le cours de ma vie


Partir, partir

On a toujours

Un bateau dans le cœur

Un avion qui s'envole

Pour ailleurs

Mais on n'est pas à l’heure


Tu l’as  ? ! Mais voilà, comme dit encore Juju, "le temps nous prend trop de temps" alors pas toujours facile d'aller voir ailleurs, surtout quand "ailleurs" est "là" où l’on rêvait peut-être d'aller depuis l’enfance.


Moi, petite, je voulais toujours faire deux trucs en même temps : danseuse-paysagiste, humoriste-ornithologue, avocate-météorologue, speakerine-reporter de guerre. Puis j’ai grandi. Je me suis recentrée. Et j’ai choisi plus prosaïquement "journaliste"… Mais ça, je l’ai fait !


L’ailleurs, je le vis différemment, quelque part entre la région du cœur, du rêve, et toutes sortes de littératures que je traverse.

Et toi. C’était quoi ton rêve de gosse ? Tes envies d'ailleurs ? Tu voulais faire quoi comme métier quand tu étais petit ? Déjà navigateur-écolomerrien ?


Écris-moi et bises à toi et aux copains d'bâbord.

PS : Explication du titre de mon mail. Quand ma fille Adélie a vu la première fois Star Wars au cinéma, elle a lu le titre qui s’affichait sur l'écran « Le retour du Jedi ». Elle a alors mis sa main sur sa bouche en pouffant et m’a dit : « Tu as vu ? Ils ont fait une faute. Ils ont oublié le "u" à "jeudi"… ».

Petite, elle voulait être institutrice ;-)


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> BILOU

WE EXPLORE - 07 décembre 2022 - 07h08 (heure bretonne) - Sur le chemin du retour


(We Explore et son Équipage. Autour de Bilou : Jeremy Millot, Luis Guervos, Tanguy de Kerdrel et Nicolas de Castro).

Ola Cécile ! Bienvenido again !


Honnêtement j'aurais voulu être le premier à dégainer, histoire de changer un peu, mais pourquoi changer après tout ?! Mais figure-toi que pour ce retour, je cours la Route du Rhume !


Faut le faire quand même ! Nous avions prévu de faire du fret maritime au retour, mais cette cargaison de microbes s'est clandestinement glissée à bord. Pourvu que je les garde pour moi... Petit contrecoup de l'aller sans doute aussi. Bref, je n'étais pas vaillant en ce début de retour.


C'est le monde à l'envers côté météo aussi madame l'avocate ! Les alizés sont dans le sens inverse. Nous traversons l'Atlantique vers les Iles Canaries avec le vent dans le dos. Ce n'est pas normal du touuutt ! Nous accompagnons une groosse dépression qui traverse, genre comme le cycliste qui s'accroche au haillon du camion, en prenant bien la précaution de ne pas s'approcher de trop près, car la bête est nerveuse et pave son chemin de nids-de-poule très mauvais pour les amortisseurs du bateau... comme de l'équipage.


Je suis accroché à ma table à cartes comme une moule sur son rocher, mais bien moins à l'aise qu'elle face à la houle, plutôt cette mer croisée qui nous brinquebale. Pour être inconfortable le spectacle n'en est pas moins superbe. Il y a ce qu'on appelle de l'instabilité dans l'air, particulièrement dans ce genre de dépression. La nuit précédente a été spectaculaire. Des orages partout. Éclairs géants qui lézardaient le ciel, donnant au sillage du bateau des tons phosphorescents incroyables. Un peu flippant quand même. L'équipage s'émerveillait de cette beauté qu'on aurait aimé plus éphémère... les foudres divines plutôt chez les autres, merci ! Et puis quel scandale dans cette période de chasse au gaspi ! Une bonne campagne Ecowatt ça manque ici. On gaspille l'électricité dans l'air. La Nature n'a vraiment aucun scrupule. Pas une once de civisme en ces temps de crise !


C'est vrai qu'au téléphone je t'ai dit que le retour serait un autre récit. Première Transat en équipage pour We Explore. Cinq petits humains qui voyagent en lin... voyagent pour l'autre ! Jeremy et Tanguy, mes deux jeunes Padawan embarqués depuis des mois dans ce marathon, et le plaisir d'accueillir les amis Nico et Luis dont chacun mériterait un portrait. Mais faut p'tête que je réfléchisse avant d'écrire, avec tous ces réseaux sociaux... on sait plus quelles traces on laisse de nos jours !


Nous voilà ici dans ce petit ailleurs, nomades et sédentaires à la fois, au cœur des grands espaces dans notre espace réduit. Dans cette phase, après quatre jours de mer, où l'on commence vraiment à se mariniser ensemble, débarrassés des écailles terrestres, le temps d'une traversée.


Le jour, la nuit, le temps en général n'a pas la même sonorité, le même goût. Le rythme des quarts a ce côté magique qui nous fait voir la nuit sous un autre jour... mais ce n'est pas à une insomniaque diplômée que je vais apprendre ça !


Alors pour Juju j'ai plutôt retenu "Melissa métisse d'Ibiza"... Donc je l'ai qu'à moitié, mais ça me dit quelque chose ! Jolies paroles d'ailleurs !...

Qu'est-ce qui peut faire qu'on n'est pas à l'heure pour l'ailleurs ?

Le vertige, la peur du vide, de l'inconnu.


Au moment où je t'écris, je ne sais pas où nous allons avec We Explore. Si la Nature nous laisse passer route vers Concarneau. Sinon quelque part... Mais où ? Aux Iles Canaries, au Portugal, en Espagne ? Je ne sais pas. C'est un peu angoissant mais aussi tellement génial. On ira où le vent nous mènera. Mais à terre, l'ailleurs est aussi tellement près de nous. L'aventure nous guette au bout du jardin, du trottoir, elle est partout.


Petit, je n'avais certainement pas le bouillonnement cérébral d'une Cécile que j'imagine hypertonique tendance un peu "too much" pour l'entourage, éreinté de répondre aux questions de la jeunette survoltée (disons que je vois bien en héroïne de BD, Titeuf version Cécile par ex).


Le premier métier que je me rappelle avoir rêvé de faire c'était... peintre en bâtiment !

"Roland est encore chez "Peinture", surnom du voisin dont c'était le métier et chez qui j'étais souvent fourré. Et j'étais le roi du monde, quand un pinceau à la main, j'avais la responsabilité de la nouvelle vie d'un volet ! Les couleurs, les odeurs (déjà accro aux drogues dures), j'adorais ça ! Sinon c'était pompier, astronaute ou Zorro suivant la mode des panoplies de Noël !


Coureur au large était un terme inconnu jusqu'à mon adolescence. Et si j'ai endossé le maillot, c'est par le fruit des heureux hasards de la vie. C'est sans doute par réaction à force de m'entendre rabâcher que ce n'était pas un métier. Mais je pense que si la pièce est tombée du côté bleu, elle pouvait aussi tomber du côté vert et la Nature n'aurait jamais été loin.


J'ai besoin de ma dose de "Glaz" régulière sinon je fane !


Je m'en vais biser mes plus ou moins jeunes et barbus camarades de ta part, en respectant les distances de sécurité évidemment.


Des bises spéciales à Adélie, qui d'ailleurs se projette vers où, si institutrice, c'est plus le projet ???

À très bientôt


 

Épisode 7 : "La grande librairie" du bocal


> CÉCILE

Jeudi 08 décembre 2022 - Quimperlé encore gelée - 10h19.

Hey Bilou !

Magnifique ce dernier message. Quel bonheur de te lire et quel plaisir de pouvoir partager avec d’autres lecteurs/lectrices ces instants de vie à bord d’Explore, dont tu témoignes avec beaucoup de lyrisme. Je reçois des commentaires de fans qui se délectent de tes messages. "Je découvre un super personnage, un Homme bien avec de belles valeurs et de beaux discours" ou encore "Quelle belle personne. On vit et on voit tout ce qu’il décrit". Oui ma mère aussi aime beaucoup ce que tu fais :-))


C’est vrai que tu es quand même le Roi de la belle formule : "J'ai besoin de ma dose de "Glaz" régulière, sinon je fane !" C’est beau ça !

Et ton voisin "Peinture", on se croirait dans un livre de Daniel Pennac ! Ça m’a rappelé le docteur Sirop dont me parlait souvent ma belle-mère. Je croyais que c’était son nom jusqu’à ce que je le consulte. Là j’ai compris que c’était le nom de sa prescription, la mienne et celle qui avait fait sa légende.


En parlant de prescription, il paraît d’ailleurs que le meilleur moyen de te remettre de la Route du Rhume, c’est de tenter le Vent des Grogs…

OK je sors…


J’aime bien le portrait que tu t’aies fait de moi en petite fille azimutée. Mais j’avoue j’y ai plutôt reconnu Azilis, mon aînée. Elle est sautillante, enthousiaste, un peu candide et d’une insatiable curiosité comme l’enfant d’éléphant des contes de Rudyard Kipling. Une littérature sans âge que ces Histoires comme ça où le célèbre auteur du Livre de la jungle, raconte avec humour pourquoi les éléphants ont une trompe, les léopards des tâches ou la baleine un tout petit gosier. Celui-là, je l’ai lu et relu mille fois, à tous les âges de ma vie. Parce que derrière le "vulgaire", le commun de ce que montre la réalité, peut se cacher de merveilleuses histoires.

Enfant, j’ai très vite considéré le livre comme un refuge. C’était mon copain invisible, ma cabane dans l’arbre, ma cachette sous le lit, mon placard à secrets. Ouvrir un livre, c’était comme ouvrir une porte ou une fenêtre. Y avait plus qu’à sauter pour passer dans un autre monde. Là, dans toutes ces histoires dont je me goinfrais (sans parler de toutes celles que ma mère nous lisait), j’y ai trouvé bien des modèles, des inspirations pour m’aider à savoir qui je voulais être ou au contraire celle que je ne voulais surtout pas devenir.


Bon ok, comme beaucoup, j’ai commencé par dévorer une bonne partie des livres de la Bibliothèque rose, avec évidemment l’incontournable autrice anglaise Enid Blyton. Si si tu connais, c’est la mère de Oui-Oui. Tu sais qu’en fait, quand j’y repense, ce petit gars au grelot n’était autre que le premier Uber de la littérature jeunesse. Tu parles d’un taxi. Il passait son temps à faire des livraisons en extra pour ses "amis" qui ne le payaient jamais ou pour des lutins un peu chelous qui lui faisaient toujours des embrouilles. Et avec un nom comme Oui-Oui, zy-va la première leçon de consentement. Ça tintinnabule plutôt comme une injonction à obtempérer "quoi qu’il en coûte".

Oui-oui ? Ouï-ghour oui !


Donc passe la période rose, et enchaîne sur la verte, Le Club des cinq, Fantômette, puis viendront Miss Marple, Arsène Lupin, Sherlock Holmes et autres Adèle Blanc-Sec ou Yoko Tsuno. Les tout-premiers héros et héroïnes, c’est important ! Et puis on connaît la puissance de la littérature pour incarner ceux et celles que l’on ne sera sans doute jamais, mais on la remercie de nous laisser les fréquenter.


Et toi ? Comment as-tu construit et nourri tes inspirations ? Qui étaient tes modèles ? Qui sont encore aujourd’hui les personnalités qui t’ont guidé directement ou à travers leurs discours, pour tracer ta route ? Et si toi aussi tu devenais un modèle pour les autres, quel message aimerais-tu particulièrement incarner ? Est-ce que tu penses qu’il est important de transmettre ce que l’on apprend, ce que l’on comprend du monde par la force de l’expérience ?

Bref, comment on devient un Bilou quand on sera grand ?


Je t’embrasse et te souhaite belle mer et bon vent, à toi et à la team pour les jours suivants.


PS : Non, rien du tout. Tu ne crois pas que c’est déjà assez long comme ça !

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> BILOU

WE EXPLORE - Vendredi 09 décembre 2022 - 22h19 (heure bretonne) - Si près de La longue route


Salut Cécile !

Aaahh mais quel plaisir ! D'abord de me savoir lu par ta maman, chose que même dans mes rêves les plus fous je n'aurais jamais imaginée. Mais surtout de te lire, et relire, encore et encore. De ton enfance au docteur sirop et au Vent des Grogs, le voyage est complet.


Ce soir je me jette à l'eau. Et ce n'est pas facile. Je décide de parler littérature avec une vraie Littéraire, une Junkie du bouquin. Je me demandais bien depuis quelque temps par où aborder la chose, comment faire le premier pas quand on est comme moi lecteur amateur à la mémoire microscopique quand il s'agit de retenir les titres ou les auteurs.


Et hop encore une fois le salut vient de toi. Eh oui, c'est OUI-OUI ! Enid Blyton ! Tu parles que ça me parle !!! Toute la collec bien rangée dans ma ptite chambre, bibliothèque rose et verte sur l'étagère du dessus. Excellente ta description de Oui Oui Gour Uber ! Je me revois dans la cuisine, assis sur un mini-tabouret de 20 cm de haut, coincé sous la fenêtre entre le radiateur et le coin du mur, dévorer le Oui-Oui nouveau, cadeau de ma maman chérie. Comme toi, premiers voyages, par le récit mais aussi - ce que je ressens toujours aujourd'hui - par ce contact magique entre l'objet, le corps et l'esprit. L'odeur du papier, le contact du doigt sur le coin de la page, le bruit du froissement si doux à l'oreille.


Un livre c'est un médicament à multiples usages. Une magie que je ne retrouve pas dans la tablette ou sur l'ordi. On peut arguer que c'est moins bon pour la forêt tout ce papier, mais ça reste à discuter.


Après le rose, chez les verts ça jouait en groupe : Le club des Cinq, Le clan des Sept, Les Six compagnons... À dire vrai, les souvenirs des histoires se sont estompés. Il y avait des cabanes, des intrigues, pas beaucoup de parité, un chien... Mais les souvenirs de plaisir de plongée dans leurs univers restent comme des moments doux et sucrés de l'enfance.


La BD est arrivée de bonne heure, Asterix et Obelix, Lucky Luke, Gaston Lagaffe, Tintin... Ils sont encore présents dans l'une de nos fiertés à la maison : la bibliothèque mezzanine spéciale BD construite dans le bois des arbres du jardin. Un rêve accompli, une vie de BD dans tous les genres, un régal !


Rien de plus développement durable qu'une bonne BD. Tu peux la relire dix fois, voire plus, tu y trouves entre texte et dessin toujours une nouveauté !

Tout ça a commencé avec Pif Gadget, le journal de Mickey et Picsou magazine. Merci aux parents de m'avoir ouvert un univers politique très large de bonne heure !


Je devais avoir une douzaine d'années lorsque j'ai lu mon premier ouvrage consacré à la mer et au grand large. C'était Rayon Vert au Cap Horn de Loick Fougeron, navigateur contemporain de Moitessier, qui narrait dans ce livre son chemin d'entêtement pour passer ce fameux cap. La lecture de ce livre a été un vrai choc encore inexpliqué pour moi. Pourtant à l'époque même si je commence à bien apprécier les stages à l'école de voile du Cap Coz, le foot, les potes, la pêche et la chasse avec mon père, suffisent largement à combler mes besoins d'aventure. Mais Rayon Vert au Cap Horn a ouvert quelque chose en moi.


Figure-toi que quasi trente ans après, en préparation du Vendée Globe, Voiles et Voiliers m'appelle: "Bonjour Bilou, accepterais-tu de faire une interview vidéo, avec un monsieur que tu ne dois sans doute pas connaître, qui a bien bourlingué, qui s'appelle Loïck Fougeron". J'ai dit OKAY !!! de suite. C'était un signe, comme boucler une boucle intérieure avant une boucle du globe ! Et je garde de cet après-midi de rencontre un souvenir formidable. Loïck approchait je crois déjà les 80 ans, mais devant la fraîcheur du bonhomme et tout ce que ce moment représentait, l'interview qui devait se faire au ponton en trente minutes a changé de tournure. On a largué les amarres et j'ai navigué avec l'auteur favori de mes douze ans. J'étais comme un gosse. Loïck Fougeron à la barre de mon Imoca !


En évoquant Moitessier, je me rappelle qu'à l'adolescence je suis passé totalement à côté du personnage. La voile arrivait pour moi via les régates, les runs de vitesse en planche à voile, la recherche d'une forme de performance via la compétition. Donc ce bonhomme qui était en tête d'une course autour du monde en solitaire et qui pour des raisons que je ne cherchais même pas à connaître, décidait d'abandonner pour continuer une route (Longue !) vers la Polynésie pour se dorer la pilule sous les cocotiers... C'était hors de mon champ de pensée. J'étais dans la lecture Tabarly, sans compromis. Les raisons de Moitessier, je ne les ai découvertes que plus tard. Mais il n'est jamais trop tard.


Alors ensuite je botte en touche, non seulement parce que je me suis déjà assez épanché sur le divan, docteur, mais aussi pour revenir à mon statut de littéraire amateur. C'est que figurez-vous, j'ai une tête de linotte et une amnésie dans le domaine, comme je l'évoquais au début de ce texte... Je vais donc me réunir pour convoquer mes neurones. Puisqu'il est près de moi, j'évoque donc le livre de bannette du moment : Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Marria Larrea. Un régal. Et un Merci à ma Sophie de toujours me faire découvrir un nouvel univers.


Et pour clore ce moment hautement intellectuel, une petite carte postale de notre univers nautique, ou plutôt même aquatique : nous sommes depuis plus de 24 heures sous un ciel gris plombé, des trombes d'eau nous tombent dessus. C'est impressionnant ! Bonne nouvelle, nous étions un peu courts en eau douce. Hop ! Entonnoir tuyau sous la grand-voile, réservoirs pleins à bloc ! Au milieu de l'Atlantique, entre Antilles et Canaries, on fait le tour d'un grand manège dépressionnaire pour lequel les météorologues ont sûrement dû trouver un nom sympa. Même dans le Sud la dépression est grise et humide, mais la misère est moins dure au soleil, comme disait Charles. Bref ça ne se plaint pas à bord car, même si l'on n'est pas en cours, je peux parler d'une dream team. C'est un régal de naviguer avec mes camarades. Un truc à se dire : que c'est vraiment saugrenu de se taper ça en solitaire !


Je ne te laisse donc pas sèchement du tout !


Bizzz


PS : 1 - Bon je viens de relire ton mail, je n’ai pas répondu et trop dérivé. On reprendra l'interrogatoire là où on l'a quitté, promis. Mais cette météo n'est vraiment pas facile, y compris pour faire tenir chandelle et chaise à la table à cartes.

2 - Je ne me relis pas donc pardon si c'est décousu

3 - Mes salutations à ta maman et aux trois autres lecteurs lectrices de cette chronique.

 

Épisode 8 : Le questionnaire du Capitaine Proust

> CÉCILE

Lundi 12 décembre 2022 - Quimperlé - 07h35


Salut Bilou,


Il m’a fallu une petite période d’incubation pour apprécier ton dernier message tellement riche que j’en suis restée toute coite. Notre correspondance m’en apprend tous les jours sur toi et tu ne cesses de me surprendre. J’ai découvert le petit Bilou que j’aime aussi beaucoup ! Et c’est décidé, on ouvre un club de lecture Explore en 2023 avec une boîte à livres en open bar.


Alors puisque tu as le verbe généreux en ce moment, je ne vais pas me priver pour dégainer le célèbre questionnaire du Capitaine Proust. Non, non pas Marcel. Son frère caché, le petit Alain. Celui qui n’a jamais perdu de temps, le roi des phrases courtes, le leader des punchlines, le cador des p'tites tirades. Tellement rapide dans tout ce qu’il entreprenait que lorsque son frère Marcel faisait d’interminables phrases pour raconter sa vie, Alain Proust, résumait toute sa littérature en un seul et même questionnaire.


Oh bien sûr, l’Histoire, tout comme sa famille d’ailleurs, s’est bien gardée de mettre cette œuvre en lumière et on n'a retenu que la version égocentrique de Marcel reprise, que dis-je, spoliée, au petit Alain. Heureusement, il est encore possible de trouver le questionnaire du Capitaine Proust (surnom qui lui fut attribué par ses copains de la Mar-mar lors d’une traversée pendant laquelle il avait particulièrement brillé avec ses phrases courtes et ses questions sans réponse.


Je te le soumets aujourd’hui car il colle plutôt bien à notre affaire, pour en savoir encore davantage sur c’est qui-qui vraiment Roland ?

La règle du jeu est simple. Une réponse à chacune de mes questions en bleu. Courte ou longue, au gré de ton inspiration. Tu as également le droit de faire appel à tes jokers, autant de coéquipiers qui t’accompagnent et qui pourraient t’aider en cas de panne sèche.


Impatiente de découvrir (toutes) tes réponses.

Gros bisous à toi et à ton équipage.


PS : Question subsidiaire : Ça vient d’où ce joli petit surnom de Bilou ?


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> BILOU

WE EXPLORE - Mercredi 14 décembre 2022 - 02h48 - Au ralenti


Hello Cécile !

Je ne sais pas comment je me débrouille pour toujours attendre que la mer remue pour t'écrire, sans doute parce que quand c'était plus calme je faisais autre chose... Bref j’ai répondu à la chose du capitaine remaniée par tes soins, sans trop de réflexion ma foi, mais bon c'est le jeu je crois.


Tu m’en apprends à chaque fois ! J’ignorais tout de cette injustice historique chez les Proust ! Merci de m’éveiller ! Je connais effectivement et de loin ce Marcel, tout comme Alain Prost (un rapide lui aussi), mais ce capitaine Proust m’était totalement étranger… Pas son questionnaire, que je déteste cordialement depuis des lustres, et puisque c’est toi je ne peux me dérober. Alors hop, on y va, on plonge, on travaille sans filet, et on ne se relit pas sinon on recommence tout. Top Chrono.

1. L’attribut qui te définit le mieux ? Terrien ou Merrien ?

Maaiis… rien du tout !


2. Ton trait de caractère qui t’avantage le plus sur un bateau ?

Je crois que je suis assez « facile à vivre » en équipage, comme en solitaire !


3. Ton défaut le plus gênant à bord ?

À part mes odeurs de chaussettes… Le défaut du solitaire, taiseux quand il est en équipage.


4. La qualité que tu attends VRAIMENT chez l’autre ?

À terre comme en mer, prendre un vrai plaisir à l’engagement. Quand on est là, on est VRAIMENT là.

5. Ta meilleure régate ?

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6. Ta pire traversée ?

Whitbread (tour du monde en équipage) en 89/90 à bord du bateau soviétique Fazisi. Nous sommes dans le Grand Sud quand Le mur de Berlin tombe. J’ai 25 ans. Choc de cultures.

7. Ton dernier fou rire ?

Désolé le dernier est inracontable !


8. Ce que tu apprécies le plus chez tes coéquipiers du moment ?

Ils ont l’élégance et l’intelligence de mesurer la chance de vivre et de partager ces moments rares.

9. Ta manœuvre préférée ?

Toutes sauf les manœuvres tordues !

10. Tu es plutôt tribord ou bâbord ?

Ma, Chichi, Tribord Amoure, Babord Amoure, Qué programme tou mé proposs ?


11. Marée haute ou marée basse ?

2h avant 2h après, bien meilleur pour la pêche !


12. Quand tu regardes l’horizon, tu vois la nuit qui tombe ou le soleil qui se lève ?

Ben ça dépend de l’heure de quart mon Capitaine…

13. Quelle est la première chose que tu as envie de faire, la traversée finie ?

Saluer mon ruisseau et les arbres du bois (enfin ça, c’est après avoir retrouvé Sophie).

14. La prochaine action que tu aimerais entreprendre pour changer le monde ?

Déjà continuer à changer moi-même.


15. Ta saison favorite et sa géolocalisation dans l’hémisphère ?

Je suis pizza et Vivaldi. Il me faut les quatre. Je suis gourmand ! Et partout, surtout en Bretagne…


16. La plante que tu préfères ? (OK réfléchis bien à ta réponse, il y a une vraie attente sur ce sujet )

Quand y en a pour le Lin y en a pour l’autre !

17. Ton animal totem (je suis obligée de te demander ça. C’est pour remplacer le signe astrologique devenu un peu has-been, mais c’est bon pour l’audience. Les gens doivent se reconnaître en toi) ?

La gazelle bigoudène croisée truite fario

18. Cite-moi un ou deux auteurs contemporains dont tu as récemment aimé les livres ?

Honneur à nos amis ambassadeurs de We Explore, Isabelle Autissier et Érik Orsenna, tout est un régal quand on plonge dans leur univers. Et je viens de finir cet après-midi Eldorado de Laurent Gaudé.


19. Quels sont tes auteurs/ autrices favoris disparus… voire pas en grande forme... ou même, que tu n’es pas super sûr qu’ils sont encore de ce monde, un peu comme pendant la cérémonie des César, quand tu découvres parfois que finalement ils étaient encore vivants alors même qu’ils viennent juste de trépasser… tu me suis ?)

Euh… là joker et j’ose même pas demander à mes copains !


20. Le personnage de fiction qui t’a le plus marqué (en bien ou en flippant ) ?

Oui-Oui, Zorro, Dark Vador, Gaston Lagaffe, Trump (jeu : cherchez l’intrus)


21. La personnalité de la vraie vie que tu admires le plus (en dehors de ta mère chérie qui achetait tes Oui-oui et que je kiffe grave aussi ?)

Du parcours d’Edgar Morin au chemin de Snowden, du courage du migrant à l’engagement de tous les anonymes qui œuvrent pour le bien commun, Je ne veux pas choisir.


22. Ton juron préféré (celui que tu pourrais servir à la personnalité de la vraie vie que tu détestes le plus) ?

Rien de publiable dans ces colonnes ! Alors ok… Bachi-Bouzouk !


23. L’expression verbale qui t’agace le plus ( mais que, du coup, au jour d’aujourd’hui, genre, wesh tout le monde l’utilise, même en confcall ) ?

Je ne suis plus à la mode les enfants sont partis de la maison ! Mais Allo quoi…


24. L’artiste ou le groupe de musique dans ta playlist du moment ?

J’ai retrouvé Manu Chao et Lavilliers pendant la Route du Rhum.


25. Le meilleur concert de ta vie ?

Mon premier ! Téléphone à Quimper et mon premier bisou !


26. Le film que tu recommandes à tout le monde et que tellement tu l’aimes, tu le regardes à chaque fois qu’il est diffusé à la TV alors que tu l’as en VHS, en DVD, en blu-Ray et qu’il est dispo sur Netruc et machin Prime ?

Je faisais cet après-midi auprès de Tanguy et Jérémy la promo d’ Océans de Jacques Perrin. Chef-d’œuvre.


27. Si tu pouvais voyager dans le temps, à quelle autre période historique aurais-tu aimé vivre ?

Juste par curiosité celle où on allait à pied aux îles des Glénan !


28. La valeur humaine ou citoyenne qui compte le plus pour toi ?

L’honnêteté.


29. Le don ou le super-pouvoir que tu aimerais avoir ?

Faire la cuisine.


30. Comment aimerais-tu mourir ?

En pleine forme.


31. Une fois mort, qu’aimerais-tu que tes descendants disent de toi en honneur à ta mémoire ?

« On aurait pu avoir pire aïeul, mais au moins il est fertile » (parce que j’aimerais être utile jusqu’au bout et me faire composter dans le jardin, ça, c’est pas encore gagné).


32. Sinon ça va ?

Ben là je suis cuit après ce Proust DGSE.

33. "Quand est-ce qu’on arriiiiiiiveuh" ? Bref, t’es où ?

Alors le petit panoramique de la nuit : Luis et Nico actuellement sur le pont, nous naviguons vite au portant, la mer nous laisse un répit pour glisser ce qui n’était plus le cas depuis longtemps. Grands surfs sous la lune et les étoiles, terminés les effets spéciaux des éclairs continus dans d’immenses zones orageuses, ça fait du bien. Jeremy et Tanguy de repos pour 3h, rythme des quarts. Moi-même hors quart pour faire le lien social et remplir des questionnaires de Proust…


Le mauvais temps nous barre la route et nous oblige à faire escale à Madère que nous atteindrons le 14 au soir. Pour une durée indéterminée pour l’instant, sans doute environ 24h. Ensuite c’est encore incertain, nous espérons une ouverture pour rejoindre directement Concarneau, mais ce n’est pas gagné, on verra bien, et après tout il faut bien garder un peu de suspense dans nos correspondances !


Mais cette Transat est vraiment tonique, la puissance et le rythme des dépressions font penser au Grand Sud. Tout ça ce n’est pas normal, moi j’vous l’dis ma bonne dame !


La bonne nouvelle là-dedans c’est que notre We Explore fait ses preuves au retour comme à l’aller, ça c’est de la preuve de concept !


Ahhh et l’origine du Bilou… Bon là j’ai pas le temps car on va affaler le gennaker le nvent monte un peu trop et comme dit l’opticien, qui veut voyager loin ménage sa monture. J’envoie donc un petit billet annexe à suivre traitant de l’origine de ce surnom qui a survécu aux décennies.


Bizz

 

Épisode 9 : S'il te plaît, raconte-moi Madère...

> CÉCILE

Mercredi 14 décembre 2022 - Quimperlé - 22h45


Olá Bilou,

Et bien pour un exercice que tu abhorres, on peut dire que tu as relevé le challenge du vilain Capitaine Proust avec brio. Je te tire donc mon chapeau, enfin mon bonnet, enfin non en réalité j’évite les grands gestes, donc je salue avec une légère, mais très déférente révérence, ta pugnacité et la vaillance dont tu as encore fait la démonstration, pour répondre à ton engagement épistolaire.


L’agente de la DGSE, que je fus le temps d’un mail, a des circonstances atténuantes. Je dois t’avouer que lorsque j’ai eu cette idée de questionnaire, je n’étais pas tout à fait dans mon état normal. J’étais sous codéine. Et quand je suis codéinée, manifestement, je convoque Proust, enfin son frère au pied marin. Car sache que quand toi tu surfes avec panache sur ton Explore, affrontant les éléments primitifs et sauvages d’une Nature désinhibée, moi je chute comme une crêpe de blé noir (c’est plus lourd que le froment) sur du rebord de trottoir.


Quand ta carte météo annonce une sévère dépression et te contraint de te rapprocher des côtes, ma radio à moi révèle une belle commotion et me prescrit le repos pour recoller mes côtes.


Voilà donc le fameux impromptu qui intervient à l’envi dans nos vies pour nous rappeler que si l’être humain veut tout maîtriser, jamais le temps il ne pourra dominer. Que faire ? Geindre, souffler, s’impatienter, se laisser oppresser par la désorganisation qui s’impose ! J’ai !


Mais ce qui arrive sur le champ, à l’improviste, auquel on doit faire face sans préparation, n’est-ce pas aussi justement ce qui permet à la poésie parfois de s'immiscer dans la réalité ? Qu’en penses-tu ?


Je ne parle pas de l’état de mes K4 et K5 qui m’inspire autant qu'une partie de bataille navale mal engagée, mais de ce port de Madeira où toi et ton équipage allez passer cette nuit... au moins.


Sophie a transmis cette photo d’Explore à quai, prise à 20h40, sans doute depuis le port de Funchal. On aperçoit une myriade de lumières, les illuminations de Noël, mais aussi celles des veines allumées de l’archipel (ici on doit voir les trottoirs au moins !). Je ne peux pas croire que cette escale n’aura pas sa part de magie sur ta Route du retour.

Il faudra me le dire, me rappeler combien la vie est aussi belle de ses surprises et que chaque pas de côté (même ceux qui nous font glisser) peut constituer, in fine, le pavement indispensable pour donner sens à tout parcours.


J’aime en tout cas penser les choses ainsi. Fatum, mektoub, destin, ou simple hasard, comment conçois-tu ces mots ? Crois-tu en quelque chose de plus grand que toi, que nous ?


Dans la Battle grecque de la formule qui tue, dans quel camp es-tu ? Celle de Pindare : Ecce homo - Deviens ce que tu es ? / VERSUS celle de Socrate : Connais-toi toi-même ?


J’avoue ce n’est pas la demi-finale de la Coupe du monde all over the univers de la planète Qatar qui m’a inspirée, mais les philosophes invités à La grande librairie sur une autre chaîne ;-)


Alors j’abuse un peu. Mais s’il te plaît, raconte-moi « Madère ».


Je t’embrasse.

Prenez-soin de vous et bon repos à tous.



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> BILOU

Samedi 17 décembre 2022 - WE EXPLORE - 00h31


AÏE AÏE AÏE Céciiile,

Oh oui ça fait mal le bris de côte. Je compatis largement, courage moussaillonne ! Ne te sens pas obligée par nos correspondances de te lancer dans des activités à risque comme une transat de trottoir en solitaire, s'il te plaît. Mais tu pousses loin le mimétisme ! Il y a comme de l'épidémie dans l'air, Yannick Bestaven me confiait il y a quelques jours que lui aussi était atteint du même mal post Route du Rhum.


Et en tout cas bravo de braver la douleur et de t'accrocher au clavier. Ce que tu fais là, très peu sont capables de le faire (moi c'est certain). Chapeau l'artiste !

Première chose surtout ne pas te faire rire, je tente donc le ton du sérieux. Je dis bien que je tente, si problème tu codéines et tu éteins l'ordi.

Au moment où je t'écris les étoiles ont rempli le ciel, les grains de pluie sont asséchés, le vent a molli et la mer devrait avoir le bon goût de se lisser l'épiderme dans les heures à venir. Pas grand-chose de pire sur un bateau à voile que voir et d'entendre le matériel souffrir quand on se fait brinqueballer dans la houle sans appui. La gamme des grincements, craquements, claquements, du cordage à la voile en passant par l'accastillage, est d'une grande diversité. Et encore on a de la chance de vivre ça sur un We Explore en lin, cette merveilleuse matière qui amortit les vibrations !! Avant j'avais du carbone, mais ça, c'était avant ...

Le spectacle de la journée était majestueux. Départ de nuit de Madère, sous les éclairages de la ville j'y reviendrai, petit jour sous les montagnes escarpées à l'extrémité Est de l'île à la rencontre du reste de houle de notre copine dépressionnaire. Trois à quatre mètres de creux beaucoup plus sympathiques que les jours précédents, des vagues un peu fatiguées, genre on sent que la fête est finie, la gueule de bois arrive, allez les filles on se calme on va se coucher.


Enfin ce soir elles sont encore là les coquines, même fatiguées elles ont du mal à conclure leur "After"


J'aime tous les grands espaces. Le petit hic sur la mer, c'est que tu as besoin d'un bateau pour en profiter. N'est pas dauphin qui veut. Et que JAMAIS sur un bateau tu ne peux avoir aucun bruit. Il y aura toujours un "flap flap", un "cling clang", ou un "crak crak" pour ruiner l'ambiance. J'exagère, il y a ces moments magiques ou sur une mer d'huile (c'est rare) on entend juste le petit chuintement sympathique de l'eau sur la coque. Mais c'est un bruit.


Je ne suis pas un spécialiste ni du désert ni de la montagne, mais dans ces deux univers j'ai entendu et écouté le silence. Magique. En mer j'ai tout au plus un ou deux souvenirs de ce moment de communion avec l'infini. Se remplir du son du silence.


Ceci dit, je parlais de ça avec un couple de montagnards il y a peu, et ils m'ont rapidement ramené aux réalités de leur monde: "Entre le bruit des hélicoptères, des avions et du trafic routier dans le fond des vallées, chez nous aussi ça devient difficile de le savourer, ce silence !"


Bon voilà aucune morale à mon histoire je ne sais plus d'ailleurs pourquoi je suis parti vers là. Pour une fois je vais essayer de recoller à ton récit !


Je finis donc Madère en commençant par le début si tu me suis.


L'escale s'offrait à nous comme une bénédiction car l'île était placée à la charnière entre "les conditions commencent vraiment à être musclées" et "là on attaque le stage survie dans la baston", pour un We Explore pas conçu pour ça et qui venait quand même de se taper un aller déjà tonique. Donc l'opportunité d'un stop dans une écurie exotique était accueillie avec joie par monture et équipage.


Arrivée plus que musclée effectivement avec quarante nœuds de vent jusqu'à l'entrée du port, et la mer qui va avec. Avec en toile de fond cette ville très éclairée plus les guirlandes des fêtes, on surfait sur la magie de Noël ! Si les ordinateurs et les GPS n'existaient pas les progrès de l'éclairage public seraient causes de bien des naufrages, aujourd'hui tu ne vois plus un feu de balisage en période de fêtes ! Les rois mages sont nés à la bonne époque, de nos jours le récit serait moins romantique.


Mektub, destin , hasard, kaïros... Bateau amarré dans un trou de souris à 20h locale. Ce moment propice à l'aventure qu'on appelle aussi l'heure de l'apéro. Et nous voilà donc à l'assaut de la citadelle, le cœur gonflé du succès de l'opération "Zero bobo bateau dodo". La petite bière sur la placette qui sans subir vos températures sibériennes était un peu fraichouille, puis excellent petit resto. Sympathique serveur sud africain, menu en anglais et voisin allemands. United colors of Madeira. Obrigado !

Je n'avais pas fait escale à Madère depuis plus de vingt ans. Je n'ai parcouru que les rues proches du port. Tout est plus propre, plus retapé, plus "bo-boïsé", plus mondialisé. Je n'étais plus dépaysé. Je dois vieillir.


Heureusement je sais que l'intérieur de l'île garde sa beauté et sa magie. Et le peu de temps passé dans le port a créé de belles rencontres. Une tranche de France-Maroc en direct avec la Guardia Civil le temps de checker les passeports, sympas les gars mais pas rapides sur le ballon ! Une famille en provenance du Portugal sur un monocoque de croisière qui nous a conté l'attaque des orques contre leur gouvernail il y a quelques jours. Heureusement match nul. Sergio, le gars du port très sympa qui nous a trouvé un petit bateau pour aller gérer quelques bricoles sous la nacelle du bateau. Ah c'est différent quand on arrive en avion, on passe moins de temps aux rencontres sur le tarmac !

Mais j'avoue ne pas avoir été sans doute assez à l'écoute du romantisme de l'instant présent, un peu taraudé par le "bon c'est quand qu'on repart?". Les conditions météo à venir n'étant franchement pas simples il fallait prendre une décision. Pas possible de remonter d'une traite vers La Bretagne, barrage. À peine le temps de monter vers le milieu du Portugal, très peu de ports et très peu de places dans ces très peu de ports. Beaucoup de mer beaucoup de vent. Mes vaillants camarades ayant des obligations de Noel il fallait décider. Laisser le bateau à la fête foraine de Madère ? Bof. Quelques heures de tergiverses et décision prise : nous faisons route vers Lagos dans le sud du Portugal, où We Explore passera les fêtes sans nous, à l'abri, merci à Victor et Outremer. Simple, pas de gros temps, on devrait y être ce dimanche soir. Pause. Rien ne nous oblige à nous presser. Carpe Diem.


Eh c'est bien un des grands enseignements de l'Aventure We Explore pour moi. Il m'oblige à me regarder en face et à enfin gommer cette culture "bateau de course qui doit rentrer à l'écurie le plus vite possible pour préparer la prochaine". Oh calme-toi Jourdain, tout va bien, justement tu es là pour voir les choses autrement. Et de cette légère contrainte météorologique des opportunités vont naître, j'en suis maintenant certain. Alors de Pindare à Socrate mon coeur balance. Et comme chantait Jean Gabin "Maintenant je sais... Je sais qu'on ne sait jamais".

Donc en route pour Lagos pour de nouvelles aventures, troqué deux pétards pour effrayer les orques qui j'espère ne trouveront pas nos safrans à leur goût... (Pour info les attaques de petits groupes d'orques sur des bateaux de plaisance sur la côte ont beaucoup augmenté les temps derniers, les scientifiques sont dubitatifs et la police cherche les coupables). Et ensuite un petit break qui sera le bienvenu je t'avoue.


Allez on se fait un ptit billet de fin une fois amarré sur la vieille Europe, pour se raconter ce final pas final ?


Des bises à K4 et K5 et à très vite, tout l'équipage se joint à moi pour te souffler de l'énergie iodée et recalcificatrice.

 

Épisode 10 : voilà c'est fini...

> CÉCILE

Dimanche 18 décembre 2022 - 00h42 - En partance


Bonsoir Bilou,


Merci infiniment pour ce message de Madère. Tu as sans doute écrit là l'un des plus beaux chapitres de nos échanges. Ça m’a fait un grand bien de ne pas rire ;-).

J'ai fermé les yeux après la lecture de ton mail pour écouter voir de quelle épaisseur était fait le silence de mon soir. Bruyant... d’humanité…Évidemment.


Il est vrai que souvent le parallèle est fait entre l’expérience de la solitude du marin, du montagnard et maintenant de l’astronaute, face aux grands espaces. On compte sur eux, sur vous, pour nous révéler suite à vos aventures extrêmes, les plaintes et les colères de la Nature que l’on ne perçoit plus depuis notre vie en société.


Pendant cette transatlantique, aller comme retour, tu as partagé quelques témoignages sur des questions qui te taraudent depuis des années, côté entreprise comme côté fondation, mais j’ai bien conscience que tu aurais plus encore à dire. Sur ce que tu as vécu, ressenti et sans doute aussi sur ce qui t’a changé ? Car dis-moi cette Route du Rhum, elle marque un nouveau tournant non ? Pour toi, pour Explore, pour Kaïros ?


En tout cas, il faut vraiment que tu uses de ta plume une fois la terre retrouvée, pour continuer à transmettre, à travers tes mots, ton expérience, tes convictions, tes émotions mais surtout ton plaisir d’écrire et de partager ce que tu vis, ce que tu vois et ce qui t’anime. J’ai adoré nos rendez-vous. J’étais toujours très impatiente d’avoir de tes nouvelles, de découvrir tes réponses, un peu comme une gosse qui, chaque jour, attend l’heure jubilatoire d’ouvrir la prochaine case de son calendrier de l’Avent.


Au regard des vues de la page blog sur laquelle j’ai publié toutes nos conversations, une bonne centaine de personnes a peut-être suivi ces échanges. Je les en remercie et je suis convaincue que chacun.e a apprécié, en plus de la qualité de tes propos, la performance de l'exercice houleux, auquel tu t’es prêté presque chaque jour devant ton écran embarqué.

Merci de m’avoir permis de faire la Route, de nuit, un peu à tes côtés, de m’avoir montré une parcelle du monde vu d’Explore, d’avoir évoqué les rivages de ton enfance mais aussi les profondeurs de tes réflexions. Nos conversations vont me manquer, mais je suis aussi très heureuse de bientôt te retrouver « en vrai » avec Sophie, Tiphaine, Nico et toute ta team à Concarneau.

Je vous souhaite un chouette mega joyeux NOËL !!!


Je t’embrasse.

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> BILOU

Dimanche 18 décembre 2022 - WE EXPLORE -15h00


Hello Cécile


Merci pour cette jolie (comme d'habitude) réponse. Merci de m'avoir "piégé" au jeu de la correspondance, tu as cet incroyable talent de journaliste/écrivain et je suis devenu otage volontaire de cette affaire! J'avoue que les débuts, pendant la Route du Rhum, n'étaient pas aisés. Petit capitaine Haddock ( sans la ration de rhum), j'étais tiraillé par le petit démon: " Bilou tu es en course, concentre-toi, pas de place pour le superficiel, ne pense qu'à faire marcher le navire, t'écriras un autre jour", et par le petit ange: "Bilou tu as un autre sillage en toi, Cécile est une bénédiction, laisse aller, tapote, prend d'autres risques, ose".


J'ai fait ce que j'ai pu. Par amour-propre: "On a dit qu'on le ferait alors, alors on le fait", et aussi simplement par respect pour toi qui a pris tout ce temps, coéquipière d'un nouveau genre, en trouvant toujours avec brio les formules pour que la partie continue. J'ai pris beaucoup de plaisir à ce match de ping-pong aussi atlantique qu'amical.


Un grand merci à Tiphaine d'avoir été complice de ce coup monté ! Et à Sophie qui comme toujours à su trouver les mots pour passer à l'action.

Enfin Merci à We Explore de m'offrir le confort, relatif parfois quand même, de la stabilité d'un bureau sur lequel le clavier n'est pas un projectile.


Le dire c'est bien... L'écrire c'est mieux. Je vais méditer tout ça, nous allons bientôt nous revoir. Comme le reste tout cela est en partie une question de rigueur et d'entraînement. Je vais me réunir et me poser la question "Pourquoi dis-tu que tu n'as jamais de temps pour écrire ? Si tu veux tu peux, non ?"


Les leçons de ces deux Transats sont nombreuses, je vais prendre le temps et tenter de les coucher sur le papier. D'un côté je me suis prouvé que je savais encore faire du bateau en course, que j'aimais toujours ça. Et d'autre part j'ai la confirmation que ce projet We Explore, fruit d'un chemin de vie, va me révéler bien plus de choses sur moi-même. Je suis le parfait cobaye pour exploratoire, petit homo sapiens du siècle d'avant pétri de ses contradictions. Je suis comme tout le monde, je voudrais faire mais je ne sais pas comment faire. Je crois que je fais un peu quand même. Je crois que chez Kairos et Explore, beaucoup font un peu. Et beaucoup d'un peu ça commence à compter. Beaucoup d'un peu c'est autant d'histoires particulières qui nous aident à écrire un grand récit commun où nous saurons trouver le plaisir du retour à l'essentiel, et à laisser le superficiel dans le sillage.


Au moment où je t'écris apparaît le Cap St Vincent, pointe sud ouest du Portugal. Nous serons à Lagos ce dimanche après midi. Depuis hier les milles défilent sur une mer plate, comme une récompense au bateau et à l'équipage. Merci l'Atlantique de nous avoir laissé passer.


Bises


PS: Et je fais moi aussi un clin d'oeil aux courageuses et courageux qui nous ont lus ! Joyeuses fêtes à vous.



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